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- Libellé inconnu,
Journée d'étude "Walzer notre contemporain. 40 ans de Sphères de justice, et maintenant ?"
Comité d’organisation : Christian BERNER (iRePh) ; Christian LAZZERI (Sophiapol) ; Félix MEGRET (Sophiapol)
le 24 février 2023
Bâtiment Paul Ricoeur (L)
Walzer, notre contemporain
40 ans de Sphères de justice, et maintenant ?
ARGUMENTAIRE
C’est justement dans Sphères de justice qu’est apparue cette philosophie morale et politique novatrice, tant par son rejet de l’universalisme moral quasi hégémonique dans le paysage
philosophique de l’époque, que par son positionnement égalitariste à contre-courant des constructions rationalistes et formalistes d’auteurs d’inspiration libérale comme John Rawls
(matrice de l’opposition), Ronald Dworkin, ou encore Jürgen Habermas — qu’il ne cite jamais dans l’ouvrage. Par son refus simultané d’un idéalisme qui identifierait le sens de la morale en dehors des rapports sociaux concrets et situés et, d’autre part, de l’anthropologie individualiste et naturaliste qui sous-tend le contractualisme des Modernes, l’ouvrage ouvrait la possibilité d’une théorie politique fondée strictement sur notre expérience du réel. C’est à partir de là que, dérivant le travail de réflexion normative d’une interprétation fine des phénomènes sociaux, économiques et politiques, Walzer a envisagé le travail intellectuel comme une tâche perpétuelle d’introspection de « notre expérience quotidienne de la morale », au moyen d’outils critiques permettant de saisir le monde social d’un point de vue enraciné.
En philosophie, Walzer parle et pense donc en contemporain, de l’intérieur du monde vécu.Il refuse ainsi toute quête ou invention d’un principe moral qui s’imposerait à la nature
humaine comme une constante transcendante. Au contraire, sa philosophie invite à pluraliser notre appréhension des « biens » qui valent pour nous, ici et maintenant, contre l’idée selon laquelle l’égalité démocratique exigerait d’établir une fois pour toutes un principe de juste répartition des biens matérielles et symboliques. À l’inverse, la politique de Sphères de justice n’est jamais close ou définitive : « une vigilance éternelle n’est pas garantie d’éternité ».8 D’une part, parce que, contre l’universalisme affiché par la théorie rawlsienne des « biens primaires », les sphères distributives dépendent des biens à distribuer et, corrélativement, des processus moraux qui accordent une valeur largement reconnue et partagée à certaines réalités sociales. Cette thèse résolument communautarienne tient pour fondement la variabilité du fait moral selon les contextes. Contemporain, Walzer l’est indéniablement lorsqu’il défend une lecture immanentiste des valeurs morales, portant une attention constante aux métamorphoses historiques et culturelles des structures symboliques qui reconfigurent la qualité, voire la quantité, des sphères de justice.
Enfin, c’est aussi le parcours de cet auteur singulier qui le rend si proche de “nous” encore aujourd’hui. Ayant toujours résisté aux labélisations idéologiques caractéristiques de la seconde moitié du XXème siècle (libéral, socialiste, communiste, républicain, conservateur …), celui qui est aujourd’hui professeur émérite en science sociale de l’Institute for Advanced Study de Princeton n’a en fait jamais perdu la sensibilité politique du jeune étudiant fortement marqué par la culture juive laïque de la New-York des années 1940 dans laquelle il a grandi. Héritier d’une tradition d’ouverture au dialogue et de refus du dogmatisme théorique, il a toujours reconnu la valeur des désaccords — qu’il a notamment soulignée en remerciant Robert Nozick, son collègue libertarien à Harvard, pour avoir largement contribué par ses oppositions à l’élaboration des thèses développées dans Sphères de justice.
Penseur politique, ayant obtenu son doctorat en governement [science politique] en proposant un travail fouillé sur le rôle du puritanisme dans l’histoire des révolutions politiques anglaises, il a d’ailleurs davantage été perçu dans le contexte anglo-saxon comme un political theorist que comme un philosophe. Comme l’indique la biographie qui ouvre les « Tanner Lectures » qu’il a prononcées en 1985 à Harvard et qui souligne bien la pluralité des facettes de sa biographie, Michael Walzer est « beaucoup de choses [many things] ». Chercheur et enseignant, il est aussi militant politique engagé dans les mouvements pour les droits civiques et contre l’intervention militaire américaine au Vietnam lors de son passage à Harvard dans les années 1960/1970, auteur d’un guide visant à renseigner les militants politiques sur la structuration des mobilisations sociales et coéditeur de la
revue étatsunienne de gauche critique antistalinienne Dissent.
Même dans ses contributions les plus savantes à la théorie morale, à l’herméneutique ou à la pensée juive, Walzer n’a jamais détourné son regard des problèmes concrets qui occupaient ses contemporains. Tant par ses contributions régulières (à Dissent et à d’autres revues de grande ampleur) que par ses prises de position publiques engagées, il a construit avec méthode et argumenté empiriquement son diagnostic du « conflit des frontières » entre les sphères sociales. Qu’il s’agisse de la contagion de la logique de répartition marchande sur les autres sphères de la vie sociale, de la détermination du caractère éthique d’une intervention militaire ou du problème des critères d’appartenance à la communauté politique dans un contexte multiculturel, Walzer est un philosophe ancré dans son monde. C’est justement ce monde-là, celui dont le critique social du XXème siècle peut prétendre rendre compte, qui est toujours pertinent. Comptant parmi le « nombre infini de vies possibles », c’est notre monde contemporain qui doit nous occuper et pas un autre (lequel se présenterait comme un ordre souhaitable ou perdu). Là se trouve peut-être le parti-pris philosophique le plus intéressant de la pensée de Walzer : une conceptualisation de l’humanité comme puissance de production d’une pluralité de « mondes doués de sens ».
Cette journée d’étude propose donc, quarante ans après Sphères de justice, de porter un regard rétrospectif sur l’actualité du geste philosophique de Walzer.
• Avec quels outils philosophiques innovants Walzer nous permet-il de penser l’immédiateté
des pratiques et des normes sociales qui nous entourent ?
• Le modèle de « l’égalité complexe » est-il toujours pertinent dans la période de
néolibéralisation accrue depuis les années 1990 ? La critique sociale au XXIème siècle est-elle
encore possible dans les termes proposés par Sphères de justice ?
• Comment la philosophie de Walzer a-t-elle pu et peut-elle encore nous inspirer
politiquement ?
PROGRAMME
9h00 – 9h15 : accueil des participant·es
9h15 – 9h45 : ouverture et introduction de la journée
Félix MEGRET (Sophiapol, Paris Nanterre) : Michael Walzer, philosophe contemporain
9h45 – 11h45 : Parcours dans la théorie politique de Walzer
Présidence : Christian LAZZERI (Sophiapol, Paris Nanterre)
Astrid VON BUSEKIST (CERI, Sciences Po) : La « licence » de la théorie. Réflexions sur un parcours oblique
Simon WUHL (ex-Paris Est Marne-la-Vallée/CNAM) : Du particulier à l’universel, l’empreinte du judaïsme dans la pensée de Michael Walzer
Déjeuner
13h30 – 15h30 : Penser la justice/penser l’injustice, avec (et contre) Sphères de justice
Présidence : Christian BERNER (iRePh, Paris Nanterre)
Florent GUÉNARD (LIS, Paris-Est Créteil) : Les formes plurielles de la tyrannie
Christian LAZZERI (Sophiapol, Paris Nanterre) : De la logique distributive des sphères de justice à la théorie conflictuelle des champs
Pause
16h00 – 19h00 : Sphères de justice à l’épreuve du contemporain
Présidence : Félix MEGRET (Sophiapol, Paris Nanterre)
Martin DELEIXHE (CTP, Université Libre de Bruxelles) : Le commissaire européen Schinas, lecteur de Walzer ? La distribution de l’appartenance et la « promotion du mode de vie européen »
Bruno PERREAU (chaire Cynthia L. Reed in French Studies and Language, Massachusetts Institute of Technology) : Sphères d’injustice. Plaidoyer pour un universalisme minoritaire
Juliette MONVOISIN (NoSoPhi, Paris 1-Panthéon Sorbonne) : L’obligation d’accueillir pour réparer un tort, une responsabilité causale ou morale ? Vers l’analyse critique d’une hypothèse de Michael Walzer
Mis à jour le 24 septembre 2024