Hugo Florsheimer

Doctorant en philosophie
Thèse dirigée par Christian Berner (université Paris Nanterre)

Titre: La refondation de la métaphysique par Schelling selon le paradigme de la construction

Cette thèse sur la philosophie du « jeune » Schelling (1794-1800) a pour but de montrer que, dès ses tous premiers écrits, notre auteur part à la recherche, sous l’influence de Fichte, d’un premier principe de la philosophie (Grundsatz) selon une problématique qui lui est propre. Il ne s’agit pas seulement pour Schelling d’établir la validité absolue et inconditionnée de la connaissance philosophique, après les multiples critiques qu’aura subies la philosophie transcendantale de Kant, concernant d’une part la valeur conditionnée de ses jugements (Schulze), d’autre part l’absence de fondement de ses représentations (Maïmon) et enfin l’écueil moral (nihilisme) que pourrait produire le refuge ontologique dans la chose en soi (Ding an sich) afin échapper à la dissolution de la connaissance théorique dans de simples concepts (Jacobi). Cette problématique de la validité inconditionnée des propositions philosophiques, autrement dit celle de la philosophie comme savoir absolu, est une problématique commune à l’ensemble des penseurs de cette période de la fin du XVIIIème siècle (le premier post-kantisme), mais non la problématique singulière du système de Schelling. Sa problématique ne peut être comprise selon nous qu’à condition d’avoir d’abord saisi la signification du paradigme de la représentation et l’émergence collatérale du concept méthodique de réflexion depuis l’Âge classique. Car, c’est précisément contre ce paradigme que la philosophie de Schelling est édifiée, sous l’influence majeure de Fichte, qui, grâce à son principe fondamental, la Tathandlung, a permis à ces deux penseurs de concevoir une question qui leur est commune :
Comment expliquer le fait même de la pensée et cela indépendamment de la seule représentation ?
Répondre à cette question, c’est fonder la science non plus sur la seule pensée, mais remonter à l’acte originaire par lequel naît toute pensée, selon un principe absolu et inconditionné d’auto-détermination, sur le modèle de l’autonomie morale kantienne. Ou, en d’autres termes : déterminer un acte d’auto-position du Moi absolu, produisant une causalité inconditionnée se trouvant au fondement des représentations de toute conscience. Un objectif commun à Fichte et Schelling fut donc de rétablir, selon le désir même de l’empirisme, le droit d’une intuition, précédant la sphère bornée du concept, mais, contre l’empirisme, cette intuition sera intellectuelle et non sensible.
Cela dit, la véritable problématique schellingienne ne se trouve pas encore à ce niveau. On ne peut la comprendre que par opposition à Fichte. Ce dernier a eu le mérite d’établir la possibilité de la philosophie comme science absolument première selon un principe tout aussi formel que matériel au travers d’un acte d’auto-position du savoir. Mais, cet acte a été élaboré par Fichte selon la méthode de la réflexion de l’esprit, inauguré par John Locke. Ainsi, le Moi absolu de la Wissenschaftlehre est dans sa propre essence, un acte d’auto-réflexion, qui, pour ne pas anéantir sa propre identité (ipséité) doit surmonter la scission qu’impose son auto- réflexion, sous la forme d’un conflit permanent et continu entre le Moi et son Autre, le Non-Moi. Or, c’est cette admission de la scission dans l’Absolu ou plus généralement ce que l’on appelle communément depuis Hegel, la négativité, que Schelling récuse. En effet, la problématique de Schelling consiste très précisément à concevoir la possibilité d’un premier principe de la Science, dans lequel la réflexion, entendue comme scission des principes, serait un simple artifice qui permet au moi en tant que conscience finie (le moi-objet) de refléter l’Absolu, mais qui, en elle-même, est nulle (=0). C’est cette problématique tout à fait singulière, qui conduira Schelling au principe méthodique de la construction des puissances, selon une interprétation libre des schèmes de construction mathématique dans la philosophie kantienne.
Notre thèse ne traite que de la période de 1794 à 1800 concernant les œuvres de Schelling. Car elle consiste, non pas à exposer dogmatiquement la théorie de la construction des puissances chez Schelling, ce que chacun peut faire en lisant son œuvre, mais à démontrer que cette période du système de Schelling est particulière en ce sens qu’elle est un moment de transition entre le paradigme de la réflexion vers celui de la construction des puissances de l’Identité absolue. Ainsi, Schelling conserve temporairement la réflexion à l’intérieur de sa méthode de construction afin de rendre manifeste l’identité de la nature et de l’esprit en un seul et même principe, reprenant à son compte la pensée grecque selon laquelle Dieu n’est pas seulement l’Être dans la pensée pure, mais l’Etant (to ôn). C’est seulement après avoir reconduit vers l’identité les principes opposés scindés par un acte de réflexion (le réel et l’idéel, le conscient et l’inconscient, le Moi et le Non-Moi etc…), selon le parallélisme des séries Nature/Esprit, que Schelling sera alors en droit de s’élever à l’Identité absolue, dans laquelle la négation sera alors conçue comme une différence quantitative, la marque de l’opposition du fini et de l’infini, un simple exposant dans la forme de l’identité et non plus une scission inhérente au Moi.
Cette présence de la réflexion dans le premier Schelling est visible par le simple fait qu’il divise encore son système en deux parties distinctes, la philosophie de la nature et la philosophie transcendantale. Le but de notre thèse est de montrer comment se réalise selon lui cette unité des principes opposés dans l’acte de construction d’après le miroir de la réflexion entendue comme mode de conscience, comme il l’était chez Kant, et non pas selon un principe ontologique de scission, comme l’interpréteront Fichte et Hegel. Comprendre cette unité originaire précédant toute réflexion, et en ce sens tout savoir, est le seul moyen de comprendre pourquoi Schelling d’une part attribue rationnellement une telle place à la nature dans son système et, d’autre part, pourquoi après avoir montré un tel équilibre des principes dans le Tout, sa philosophie ne pouvait que déboucher sur une profonde interrogation métaphysique du mystère de la sortie du fini hors de l’Absolu, ce qu’il appelle aussi la Chute.

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Thématique de recherche:
Philosophie allemande
 

Mis à jour le 04 janvier 2024